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mardi 10 juin 2014

MARCEL FAURE - 0071 à 0075 de La danse des jours et des mots

MISE EN VOIX MARCEL FAURE




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Vendredi 2 décembre 2011 

Je me lève. J'enfile ma robe de chambre. Je m'assieds sur une chaise ou dans un fauteuil. J'attends.
Un mot passe. Je souffle dessus pour attiser sa braise, je tisonne le fourneau. Le bois s'enflamme. Le feu crépite doucement. Le spectacle se met en place.
D'autres lieux, la nuit, un feu de camp, quelqu'un chante. Une grosse branche bien sèche ravive la flamme, projections incandescentes, lucioles rougeoyantes. Plus tard, allongés dans un sac de couchage, nous espérons des étoiles filantes. Mais très haut, un nuage ronge notre ciel de lit. Qui donc s'est endormi le premier.
Ici, dans un mot, un seul, il y a toute une nébuleuse de signes à explorer. Dans chaque bouche il se réinvente, et si la bouche est tendre, des fruits mûrs s'envolent et séduisent.
Et celui-ci de mot, entièrement utilitaire, — bois – que j'allais négligemment ajouter au bûcher, le voici sculpture, maison, piano, jouet, chaise, table, buffet, ou bien vivant et encore arbre à pain, cerisier, frêne, chêne, épicéa, ébène, sapin, forêt, ... – bois – et l'onde se répand en cercles concentriques. Bois, un mot initiatique qui se cache dans chaque essence, dans chaque utilisation.



Samedi 3 décembre 2011 

Pourquoi cette odeur de fumée dans mes narines ? Chauffage collectif par le sol, cuisinière électrique, dans cet univers aseptisé, toute odeur inquiète. Rien ne doit s'échapper de la hotte aspirante,
Sur la colline, dans les jardins ouvriers, quelqu'un brûle des feuilles mortes, Légère et entêtante, l'odeur s'insinue jusqu'au cœur des maisons. Ailleurs, il y a longtemps, la cheminée refoule, toute la bande d'amis tousse. Pour que le tirage se fasse, il faut ouvrir la porte extérieure qui donne sur une cour pavée de lauzes disjointes. Nous avons 25-30 ans, nous sommes heureux, nous refaisons le monde.
Aujourd'hui, toujours à refaire le monde. Aller de l'avant même si chacun de nos pas est minuscule. Le nez en l'air, suivre la piste du jardinier, nettoyer, remettre en état, préparer imperceptiblement le sentier que d'autres emprunteront. Demain l'air sera libre de droits.



Dimanche 4 décembre 2011

Un héron passe dans mon ciel de ville. Perdu ? Non, il part là bas en direction de la Loire et des étangs. Que cherchait-il ici ? L'étal d'un poissonnier ? Il calligraphie son message d'ailes sur les courbes de l'air.
Cette langue scintillante juste en dessous des dernières collines, c'est elle, ma belle encore sauvage. Elle file, vers Orléans, les châteaux et Saint-Nazaire, pour mêler son tumulte à celui de l'océan.
Une ballade que chante Serge Kerval, décrit la Loire comme une jeune fille peu farouche qui se donne volontiers, au roi comme au roturier. Les berges effrontées abritent bien des amours ingénus. À chaque méandre son doux secret.



Lundi 5 décembre 2011 

— Dis-moi, comment trouves-tu le soleil ce matin ?
— Mais il fait un temps épouvantable aujourd'hui !
Je ne parle pas de ce froid glacial qui court sous les nuages plombés. Non, non, mais de ce choc au réveil, de cette joie à faire fonctionner tes muscles, la fraîcheur de l'eau sur ton visage, le goût rouge de l'été dans la confiture de cerises, la tendresse du baiser matinal de tes enfants, la porte de l'immeuble que cette jeune fille a retenu pour t'attendre malgré la morsure du froid sur ses doigts, le bus qui patiente avant de se refermer sur toi … je continue ? L'arbre qui s'ébroue de son givre, la fontaine et sa langue de cristal, le trottoir où danse un acrobate de la glisse, l'odeur des marrons grillés …
Non, tu n'es pas frigide au bonheur, mais comme moi, souvent, tu l'oublies. Ce soir, quand tu rentreras, tes enfants tout excités t'entraîneront dans une sarabande folle avec ce rayon d'or dans les yeux qui, si enfin tu le vois, te fera dire en souriant :
— Ça sent la neige pour demain.



Mardi 6 décembre 2011 

Parfois, je suis condamné au divan. En face de moi, tes yeux soudain gris sombre. Je suis désarmé. Tu parles de l'ennui qui te prend, de la chemise qui me vieillit, de tes regrets, de ton désarrois de me voir rivé à mon stylo, de cette droite qui n'en finit pas de nous sucer, de ta mère qui te hante encore. Tout. Pêle-mêle.
Avec toi, je ne sais plus être original, inattendu. Une carte postale par jour pour te dire mon amour ? Éculé. Un colis de pâtes, chaque paquet différent de l'autre, pour surprendre ta gourmandise ? Déjà fait. Une question pour réveiller ta passion botanique ? Je suis à sec. Un projet qui te donnerait un peu de tonus ? pas d'idées. Ah, béni soit le téléphone s'il se décidait à sonner.
— Tiens, chérie, c'est pour toi.
Mais depuis quelque temps, tu as peur du téléphone. Une mauvaise nouvelle est si vite arrivée. Une amie qui épuise ta gentillesse à force de se répéter, un importun qui voudrait te vendre ce dont tu n'as pas besoin ... non pas aujourd'hui.
Et je reste coincé dans ce fauteuil, les yeux perdus dans ce bouquet de chrysanthèmes. Jetons-le, il est fané. Bouger coûte que coûte, sortir de cette léthargie nostalgique, actionner le bouton du bonheur.
Tu te lèves, tu tries, tu coupes pour sauver quelques tiges, un nouveau vase. Tu souris devant cette épure de bouquet, presque un Ikebana. Tu cherches le bon angle pour mieux l'admirer. J'acquiesce d'un signe.

Apaisée par le refrain des couleurs que tu perçois de biais, tu reposes doucement ta tête sur mon épaule.




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