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jeudi 30 avril 2015

ELSA/CATHERINE DUTIGNY - CARNETS SECRETS - SUITE 44





Poupée début années soixante





Suite 44



Il savait également tenir ses promesses et dès le lendemain il fila, à peine l’aube levée, au marché comme promis. Une heure plus tard, Arsène bénéficiait d’un panier en osier neuf agrémenté d’un splendide coussin écossais. Après de multiples essais, son installation définitive dans un coin de la cuisine, ni trop proche, ni trop éloigné du poêle à mazout, déclencha les cris d’allégresse de Charlotte que Christine avait déposée chez Jules en début d’après-midi. Une fois apaisée, ses gestes intempestifs et souvent maladroits se transformèrent sur les conseils de son père, en petites caresses délicates sur la tête du chat. Peu à peu, Arsène apprit à lui accorder sa confiance en dépit de sa fâcheuse habitude à le serrer contre sa poitrine après l’avoir soulevé sans ménagement par les pattes antérieures. L’étreinte était étouffante, mais débordait d’une telle affection que le chat ne lui en tint pas grief et retrouva instinctivement un semblant de ronronnement. Jules et Arsène, après concertation, se décidèrent à ne pas changer leurs habitudes et à parler librement devant la petite qui trouva cela naturel. Elle prit plaisir à les écouter, puis décida un jour d’associer le chat aux quelques devoirs d’une simplicité exagérée que l’ancien instituteur lui donnait à faire le soir à la maison. Le chat se révéla un élève studieux, parfois un pédagogue patient aux remarques pertinentes et Charlotte une excellente copiste.


Le lundi suivant, après une séance chez le rebouteux qui lui remit quelques vertèbres en place, Jules se rendit à la mairie pour étudier avec le maire l’aménagement du jardin dont celui-ci voulait lui en confier la réalisation. Il constata que le projet était ancien et qu’il ne portait nulle part la mention d’un nom particulier, en aucun cas celui du fils décédé et que cette lubie de le nommer Les Bucoliques de Jérôme Blandin avait dû germer dans l’esprit de l’édile suite au choc psychologique qu’il venait de subir. Une fois les plans étudiés et discutés, il évalua le chantier à trois semaines de travail avec une petite équipe à plein temps. Ils se mirent d’accord pour attendre le début du printemps quand le sol aurait dégelé, avant de l’entreprendre. Pendant tout l’entretien Jules n’avait pu s’empêcher d’observer le maire avec des yeux inquisiteurs, comme si cette observation lui aurait permis d’en apprendre davantage sur le passé de Joseph Blandin. Son interlocuteur finit par s’en apercevoir et lui en demanda la raison. Jules s’embrouilla dans des explications oiseuses qui mirent les deux hommes mal à l’aise. Il fut sauvé par un coup de téléphone qui accapara le maire de longues minutes. Lorsque le maire raccrocha, il avait déjà oublié l’incident et ils se quittèrent sur de bienveillantes civilités et de franches poignées de main.

Le mois de décembre sur tout le centre de la France fut d’une rigueur extrême. Le Berry grelotait. Le bourg était figé dans une torpeur glaciale, noyé dans un silence profond, la nature retenant sa respiration et les chiens leurs aboiements. Même le moyen-duc avait le bec cloué. Un épais manteau de neige arrondissait les angles des toits, adoucissait les escarpements du bocage et soulignait d’un trait ouaté les lignes électriques entre les maisons. Une odeur fade s’insinuait dans les demeures et dans les ruelles encombrées de congères, seules des traces de pas dans la surface croûtée, signifiaient que la vie continuait à s’écouler.

Peu avant les fêtes de Noël une nouvelle redonna de l’animation à la cité endormie. La Moune était sortie du coma et les médecins avaient laissé entendre que si son état continuait à s’améliorer, elle serait autorisée à rentrer chez elle vers la mi-janvier. Le père Baillou avait fait le tour des commerçants pour colporter l’information en évitant soigneusement le bar « Aux Demoiselles », l’Augustin ayant appris, suite à une indiscrétion, que son fils avait pris pension chez lui. Depuis, les deux hommes se battaient froid. Le bouche à oreille suppléa à la mission de centre de diffusion des derniers potins que constituait l’estaminet de l’Augustin. On parla beaucoup de la Moune et on parla beaucoup d’Arsène. Sa renommée et sa popularité grimpèrent en flèche. N’était-il pas celui dont le courage avait sauvé la Moune? Il était devenu l’équivalent d’une mascotte pour les habitants du bourg et lorsqu’il se risquait à mettre une patte dans la neige pour folâtrer du côté du marché, les murmures élogieux l’accompagnaient dans sa déambulation et les mains fouillaient dans les sacs à provisions, à la recherche d’une gâterie. Le problème de la chasse aux mulots s’en trouva momentanément réglé.


Au milieu de ces réjouissances, Jules gardait pourtant une mine renfrognée. Il avait reçu un courrier en recommandé de l’avocat de Michèle qui le menaçait, si aucun accord à l’amiable n’était conclu entre les deux parties quant à la garde de Charlotte, de le traîner devant les tribunaux. La menace l’avait ébranlé. Il n’avait pas les moyens financiers de se payer un bon avocat et s’en étant ouvert à Arsène devant Charlotte, la petite avait, à la surprise générale, brusquement réclamé de voir sa mère. Le calme de son comportement lié à la présence amicale d’Arsène céda alors la place à une agitation frénétique et à des crises de larmes que Jules et le chat n’arrivaient pas à stopper. Même la présence de Christine et de sa fille Anne se révéla inopérante. Charlotte refusa désormais de se rendre chez elles, obligeant son père à négocier des arrangements avec le maire pour disposer de plus de temps à lui consacrer. Heureusement l’hiver réduisait les corvées du cantonnier et Arsène se montra parfaitement fiable pour surveiller Charlotte quand le bonhomme devait s’absenter. Pendant une grande partie du réveillon elle bouda et ne toucha qu’avec parcimonie à la dinde farcie que Christine avait fait rôtir pour l’occasion, puis se rattrapa sur la bûche aux marrons pour enfin éclater à nouveau en sanglots. Alors que Jules commençait à perdre patience et à hausser le ton, Christine vola au secours de la petite en expliquant qu’il était normal qu’elle veuille connaître sa mère et puisse passer des moments avec elle. Jules en prit ombrage. Ce fut l’unique fois où lui et Christine s’affrontèrent de manière véhémente. Réduit au rôle de spectateur, Arsène profita de l’altercation pour chaparder un morceau de dinde tombé à côté de l’assiette de Charlotte qu’il alla ensuite tranquillement déguster dans son panier d’osier. Quand les douze coups de minuit sonnèrent au clocher de l’église Christine et Anne avaient déjà regagné leur maison, Charlotte dormait dans son lit et rêvait de sa mère, Jules fumait sa pipe et tentait d’oublier son désarroi en sirotant une eau-de-vie de poire achetée pour les fêtes, Arsène digérait son blanc de dinde en pensant à la douceur et au délicat parfum de la poitrine de la Moune.

Au petit matin, la découverte des cadeaux devant la cheminée de la chambre de Charlotte changea la donne. Une poupée Bella en rhodoïd mesurant environ soixante centimètres fit scintiller les yeux de la petite et revenir son sourire. Jules avait largement puisé dans ses économies, mais le bonheur de sa fille n’avait pas de prix. Une boîte de gouache assortie de pinceaux en poils de martre rouge, cadeau d’Anne et Christine produisit sur l’enfant un effet similaire. Jules laissa Charlotte jouer avec sa poupée et gagna la cuisine pour préparer le petit déjeuner. Pendant que le café passait dans sa chaussette et que le lait de sa fille chauffait sur la cuisinière, il tendit à Arsène un petit paquet enrubanné de bolduc doré.

- C’est pour toi, le chat ! Ne bouge pas, je vais te l’ouvrir… Sois patient…

Arsène fut submergé par l’émotion. Jules était définitivement un brave homme. Certes, son bon maître était également un humain très généreux. Il l’avait habitué à recevoir des cadeaux le jour de Noël, mais le docteur Grimaud avait les moyens financiers de le faire. Jules, non. Assis sur son derrière, il leva le museau vers le paquet et attendit, confiant, de découvrir la divine surprise. Au terme d’un laborieux dépiautage de rubans entrelacés, papiers pliés multicolores, le cantonnier brandit sous les yeux ébahis du chat une souris noire à longue queue en fourrure synthétique. Il l’agita et le bruit d’une bille résonna dans l’abdomen de la fausse bête. Un jouet pour chat débile ! Jules avait l’air si fier et satisfait de sa trouvaille qu’Arsène n’eut pas le courage de lui dire combien ce présent l’offusquait en le ramenant au rang d’un vulgaire matou. Bien au contraire. Décidé à ne rien laisser paraître, il contrefit à la perfection le chat de gouttière inculte en la prenant dans sa gueule pour la lancer en l’air, la rattraper d’un coup de griffe, la redéposer au sol, lui tapoter de la patte le derrière et recommencer ainsi une vingtaine de fois de suite. Il commençait à se lasser de ce petit jeu qui n’amusait que Jules lorsque Charlotte entra pieds nus et sa poupée dans les bras dans la cuisine. Le visage rayonnant de bonheur, elle s’assit sur une chaise pendant que le cantonnier lui servait son chocolat dans un grand bol et lui beurrait deux tartines d’une baguette fraîche, après avoir ôté le trop plein de mie. Avant de tremper ses lèvres dans le breuvage, la fillette planta un regard interrogateur dans les yeux attendris de son père.

- Et pour maman, y’a pas aussi de petit-déjeuner ?

C’est alors que Jules réalisa que la poupée Bella qu’il avait choisie pour sa fille était pourvue d’une magnifique, longue et bouclée chevelure auburn. Il se mordit les lèvres et se traita intérieurement de fieffé « coillon ».



à suivre...



©Catherine Dutigny/Elsa, avril 2015
Texte à retrouver sur iPagination





Jamais trop tard !

Chacune des images animées ci-dessous vous mènera aux liens de ce roman d' Elsa, pour le savourer dès son prologue ou tout simplement pour vous souvenir de tous les bons moments passés en compagnie de notre ami Arsène ! 









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