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vendredi 8 mai 2015

JOËLLE & LOŸS PÉTILLOT - LES JOURS DIFFÉRENTS







Les jours différents


L'histoire commence de façon à la fois banale et sereine : un long week-end passé avec des gens choisis. Ces personnes cumulent : amis et famille à la fois.


Il se trouve qu'avec l'un d'entre eux nous avons une grand-mère trait d'union, comme il sied à des cousins.


Nous nous trouvons dans une maison vénérable, une maison ancienne qui sent le bois, la soupe, le feu de cheminée, l'hiver au chaud, l'enfance. Ses murs chargés d'histoires accueillent la fille de passage que je suis avec des souvenirs posés, des choses qui font entendre un chœur doux de clochettes fêlées. Une boite s'ouvre, le passé en surgit. Photos, lettres. Les traces des disparus sont les mêmes partout et partout singulières.


Tu y es très présent, mon père: l'homme qui vivait ici et que j'ai peu connu était ton frère aîné. Je te vois dans cette maison où tu n'as jamais été; sur les murs, par tes dessins, quelques peintures...


Soudain, de la boite, surgissent des feuillets pliés transparents d'usure. Dactylographiés, sans doute sur une machine tapante dont les marteaux se soulevaient à chaque touche avec une énergie rieuse et ce bruit si reconnaissable.


Pour moi qui avais lu tes carnets de prisonnier, manuscrits ceux-là, je devine que tu avais commencé à taper ces notes, que ce "journal" est rétrospectif. Sans doute pris par ton retour à la vie civile après tant d'années de stalag, par tes charges de père (un troisième enfant dit "du retour" né en toute fin de guerre) tu ne l'as jamais terminé.


La femme du cousin est désignée d'ordinaire par les termes "cousine par alliance".


Ces mots, ici, pourtant banals, prennent sens à plein .


C'est bien d'une alliance qu'il s'agit, puisqu'elle referme avec pudeur ces papiers si fragiles et me dit avec son sourire de douze ans - elle en a plus, forcément, mais vrai, quand elle sourit, je vois avec une netteté parfaite l'enfant qui est restée : "ça te revient".


Depuis, ces feuilles usées l'ont été plus encore par mes lectures dans le silence de ma maison, où ta voix par ces mots-là bat dans ma poitrine, mes oreilles, mes mains qui te gardent à paume précautionneuse au travers de cette histoire, la tienne; cette plume, cet humour, cette élégance, les tiennes...ce début de chronique dont je sais la suite par mémoire interposée. Pourtant, en te lisant, je plonge tête première dans la vie d'un jeune homme dont je suis issue que j'ai su autrement, et au fond, si peu.


On n'a pas eu assez de temps.


Extrait :


Un journal de bord ? Pourquoi pas ? Une guerre, ça compte tout de même dans la vie d'un homme.


Je n'ai pas fait la guerre, à vrai dire. Brillant cavalier du Train Hippomobile, je n'ai fait en somme qu'exercer divers métiers sous l'uniforme de cavalier, pour terminer par celui de prisonnier. Et celui-ci me permet d'en apprendre encore d'autres.


24 août 39 : ... V... et les petits sont à M... Mes rapides vacances sont terminées depuis 10 jours.


J'ai passé je crois ma soirée au cinéma avec jacques et Paulette, au Studio Universel. On jouait "vous ne l'emporterez pas avec vous", une bien plaisante histoire.


Une moins plaisante histoire m'attend chez moi où je trouve en rentrant une invitation "n° 3" à me rendre "sous les drapeaux."


J'en vois le lendemain matin deux naïves effigies entrecroisées au bout d'une affichette (qui n'a rien de publicitaire) lesquelles confirment mon invitation (qui n'a rien de personnel).


Je vais dire au revoir à l'avenue Lamarck et retrouve l'agréable Quartier Fontenoy après être passé avertir le patron et les copains.


30 août 39 - On moisit à l'Ecole de la rue Miollis habillé du splendide bleu horizon des réservistes. Après avoir, en tant que Brigadier, surveillé le déchargement d'un camion d'effets et de matériels neufs (je n'aime pas çà) je deviens Garde-Mîtes en compagnie de ce bon vieux Radig que j'ai retrouvé là après l'avoir perdu de vue depuis cinq ans.


Grosse effervescence. On démarre demain. On obtient, in extremis la permission du capitaine d'aller chez soi pour l'adieu du départ. Je suis Kaki de neuf et botté de houseaux de cuir brut, les talons ornés d'éperons réglos assez incommodes pour la marche à pied dans les couloirs du métro.


31 août 39 - casques, musettes, bidons, masques, capotes, cartouchières, revolvers, mousquetons, chevaux voitures, harnachements gueulantes et pagafe : on est fin prêt pour partir en retard sur l'horaire prévu.


Papa vient me donner, dans la cour de l'école, un ultime au revoir (...) malgré les vilains souvenirs que ces troufions lui rappellent et les conjectures que je puis faire.


Il s'en va, et sa 202 coupe le dernier lien qui m'attache à la vie civile. ...





Les jours différents






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Texte à retrouver sur le blog de Joëlle :






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