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lundi 1 juin 2015

DURANDAL - LA MER














LA MER 


Enfant déjà, je passais mes vacances sur cette plage. Mes parents louaient un appartement sur le front de mer. Ma tante disposait d’un appartement à l’année pour y emmener mes cousins. Nous adorions construire des châteaux de sable et défier la marée. À plusieurs, nous ne doutions pas de nos forces pour affronter l’océan. Nous regardions nos cerfs-volants tournoyer dans le ciel. Tous les jours sur la digue, les caravanes publicitaires d’entreprises vantaient la qualité de leurs produits et animaient le front de mer. Nous participions à ces concours, des questions-réponses, exercices divers : courses en sacs et autres tirs à la corde. Nous n’arrêtions jamais, entre les bains de mer, la balle au prisonnier, le jokari... La fille unique de notre voisine du dessus jouait souvent avec nous. Ce que je préférais, c’était les châteaux de sable, je faisais des rampes pour y laisser rouler mes billes...

Nous revenions à l’heure du repas coiffés des casquettes à l’effigie des marques, bonbons et autres stylos en poches… Le soir, nous retournions sur la digue et la parcourions en tous sens, pas encore fatigués d’avoir trop couru. Toujours occupés, battus par le vent, nous explorions les dunes lorsque nous étions fatigués des bains de mer.

Ce que j’aimais, c’était la pêche aux crevettes. Équipés d’une épuisette et d’un seau, nous raclions les bâches emplies d’eau que la mer oubliait derrière elle à marée basse. Les parents nous laissaient vivre sur la plage, nous nous surveillions mutuellement. Ils nous donnaient un paquet de ChocoBn pour le goûter, c’était le bonheur. J’étais le plus jeune et peut-être le plus rêveur. Le nord, le sud ne signifiaient pas grand-chose pour moi.

Un jour d’été, je poussai mon épuisette à côté de Lise. Peu attentifs à ce qui se passait autour de nous, nous marchions les pieds dans l’eau, uniquement préoccupés à remplir nos seaux. Elle attrapait moins de crevettes que moi, aussi je remplissais son seau pour que nous finissions plus vite. Rejoindre notre immeuble s’avéra plus compliqué que la pêche aux crevettes car la côte belge à ceci de particulier, c’est que, sur des kilomètres, les immeubles se ressemblent et forment un front de mer uniforme. Et comble d’horreur pour les enfants perdus, les postes de secours des différentes stations ont été bâtis par le même architecte et selon le même plan. Lise m’expliqua qu’elle habitait à Bruxelles, cette ville dont l’emblème est un Manneken Pis. Nous échouâmes au poste de police. À un policier flamand qui voulait nous secourir et nous demandait où nous habitions, je ne sus répondre que « Chez Tante Thérèse ». Cette année-là, elle m’avait invité pour les vacances de Pâques.

Un jour, je m’amusai tout seul sur un brise-lame. Ma tante m’aperçut juste avant qu’une vague plus forte que les autres ne balaie l’éperon rocheux. Elle poussa un cri et vola à mon secours. Elle eut tellement peur qu’elle me gratifia d’une gifle dont elle se souvint encore des années plus tard. Je devais être occupé dans un autre monde parce que je ne m’en souviens pas.

Je n’avais pas de frère, alors pendant ces vacances, un de mes cousins plus âgés en faisait office. Il n’était pas Dieu mais au moins Neptune. J’aimais le suivre dans ses aventures, il posait des lignes de fond le soir à marée basse et les relevait le lendemain ; il vivait au rythme des marées. Rien ne l’arrêtait, il prenait ses poissons à pleines mains dans un grand éclat de rire devant les mines dégoûtées de mes cousines. S’il avait été magicien, il ne m’aurait pas davantage impressionné. Je me souviens l’avoir plusieurs fois accompagné pêcher au carrelet dans un port un peu plus au nord. Nous prenions le tramway qui longeait la côte pour rejoindre les pontons. Ce jour-là, mon cousin avait pêché des anguilles. Pendant qu’il relevait ses filets, j’arpentais la plage en poussant mon épuisette et mon seau empli de crevettes. Nous sommes rentrés en tramway avec notre attirail et le produit de notre pêche. Malheureusement pour moi, mon seau s’est renversé dans le tramway et mes crevettes firent leur dernier trajet entre les pieds des voyageurs. J’étais bien triste de ramener chez moi mon seau vide. Mon cousin crut bien faire en donnant à ma mère des anguilles. Elle ne savait que faire de ces monstres vivants mais mon cousin ne s’arrêtait pas à ces détails. Il attrapa un serpent et lui claqua plusieurs fois la tête sur l’évier. Le sang gicla dans toute la pièce, Pollock n’aurait pas renié un tel dripping réalisé sur les murs mais il n’était du goût de ma mère. Je me souviens de son cri et du rire gargantuesque de mon cousin. « Ne t’inquiète pas, je vais tout nettoyer », lança-t-il en attrapant une éponge. Une giclée de sang ne l’impressionnait pas. La scène reste inscrite en ma mémoire comme si elle datait d’hier.


Mais tout cela est révolu. Mes cousins ont déménagé. J’ai longtemps accompagné ma mère sur la mer du Nord, ma sœur préférait emmener ses enfants s’ennuyer sur les plages exiguës et suffocantes de la Méditerranée. Je retrouvais Lise qui assistait sa mère. Nous restâmes voisins pendant des dizaines d’années, fidèles aux vents du Nord. Nous laissions parfois nos mères seules pendant que nous marchions les pieds dans l’eau. Nous prolongions nos discussions d’enfants à la terrasse d’une brasserie où nous mangions des fruits de mer. Je pêche toujours des crevettes, j’en apporte à Lise. J’adore quand elle prépare ces beignets aux crevettes. Nous les dégustions parfois avec nos mères. Je ne connais rien de meilleur que de manger ces fritures après une longue balade les pieds dans l’eau froide de la mer du Nord. Nos mères nous ont quittés, nous sommes orphelins. Lise loue toujours l’appartement du dessus. Parfois, nous allons, le soir, manger une gaufre sur la digue.


L’année dernière, Lise me proposa de nous retrouver sur une plage en Espagne. Je ne comprends pas bien ce que nous irions chercher là-bas quand nous avons tout ce qu’il nous faut ici, nos souvenirs, nos habitudes… Trouverions-nous seulement des gaufres liégeoises sur la Costa Brava ? Ici les gens nous connaissent. J’arpente la plage en tous sens avec mon seau et lorsque je rencontre un enfant égaré qui pleure en tirant son épuisette, je le reconduis chez lui. Je garde toujours mon paquet de ChocBn dans la poche pour le consoler. Cela doit rassurer les parents de savoir que je veille sur leurs bouts de choux. Quand il pleut, la plage est désertée, alors je mets mon chapeau et je vais pêcher au carrelet. Je me demande si Lise reviendra l’été prochain. J’adore ses beignets aux crevettes…



Tous droits réservés


* L'image : Encore plus ancien que l'époque évoquée dans ce texte de Durandal, mais le lien sous la photo mérite vos visites, foi de Tippi !



Belle occasion de partir en vacances ! Merci Durandal, ce texte tombe à pic ! 


Bel été à tous et soyez heureux ! Profitez bien !

Bien sûr, le vent soufflera bien quelques échos par-ci, par-là ! 




2 commentaires:

  1. Merciiii ma magicienne pour cet excellent choix et CASQUETTE BIEN BAS à tous les deux pour m'avoir transportée au pays de l'enfance, je me suis revue jouant pendant les vacances avec ces mêmes chapeaux de papier ! C'était une belle évasion ! Je rattrape petit à petit mon retard de lectures et c'est un pur moment de bonheur que de lire de tels récits rafraîchissants à souhait ! Merciii pour ce partage succulent au goût de nostalgie ! gros bisous à tous deux et douce soirée dans la joie et la sérénité !

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    1. Merci à toi fidèle auditrice de ces chroniques nostalgiques. Elles font remonter les souvenirs d'enfants qui peuplent parfois nos rêves....

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